VASSIGH
Chidan
N°
étudiant : 15603939
5 décembre 2015
Sujets
politiques performatifs
cours de KAKOGIANNI Maria
Les
nouvelles résistances
Dépossession, chapitre 14 :
La gouvernance de
« crise » et ses résistances
Athéna Athanasiou et Judith
Butler poursuivent dans ce chapitre le dialogue autour de la thèse
centrale de leur livre commun sur la dépossession instituée par le néo-libéralisme ou,
disons autrement, par le système capitaliste mondial qui exproprie, marginalise
et exclut des pans entiers de la population.
Je m’attache, dans cet exposé succinct, à mettre en relief
quatre idées-forces qui se dégagent de leur échange du point de vue de la
politique performative d’émancipation. Dans ce cadre, en effet, il me semble
que l’on peut les considérer comme des questions cruciales pour tout mouvement et
toute pensée de résistance au néo-libéralisme à l’époque où nous vivons. Quelles
sont ces idées-forces :
1.
La gouvernance de Tina
sur la terre.
2.
L’émergence de nouvelles
collectivités politiques.
3.
L’invention d’une
démocratie radicale comme tâche.
4.
Le défi des démarcations dans
l’espace pluriel des résistances.
En guise de conclusion, je poserai quelques
problématiques.
1. La gouvernance de Tina sur la terre
Le néo-libéralisme contemporain, que l’on peut
nommer aussi le capitalisme mondialisé, domine actuellement partout dans le
monde et pas seulement dans son centre historique occidental. Il s’affirme et
se justifie comme le seul mode de gouvernance possible, envisageable, rationnel
et viable dans l’espace politique qu’il crée. L’espace qui, à vrai dire, est
fortement limité et exclusif.
Le néo-libéralisme n’est pas seulement une gestion
économique particulière de la crise actuelle, un état d’exception ou
d’urgence perpétuel, mais un discours étatique qui, en même temps, construit et
gère le domaine ou l’espace public qu’il tente de réguler et de le subordonner
aux impératifs du capital. Son slogan est : Pas d’alternative. Dans sa
langue natale anglo-américaine, il se dit : There is no
alternative. Il n’y a pas de choix, pas d’options, pas d’alternative à ce
qui est et se fait, à ce qu’il y a. Tina est devenu l’idéologie
dominante, non seulement dans les affaires, dans la gestion de la crise, mais
aussi dans la vie sociale et politique, dans la subjectivité et la conscience
des gens, dans l’esprit de l’époque. C’est, comme précise Athanasiou au début
du dialogue, le régime de vérité de notre monde, de notre existence,
disons de la Cité bonne, de telle façon que toute pensée ou tout agir critiques
ou contestataires sont condamnés et fustigés comme déraisonnables, impossibles,
voués à l’échec, dévastateurs, irresponsables, antipatriotiques etc. dans ce
cadre donc, aucune radicalité n’est possible, envisageable ou même imaginable.
Voici ce que nous dicte la doxa néolibérale d’aujourd’hui.
Ce discours prédétermine donc la gestion des choses humaines
et en particulier celle de la crise actuelle qui n’est pas seulement fiscale comme
prétend le discours médiatique dominant mais structurel. Il propose, comme dit Butler,
une solution technocratique qui,
en tant que telle, va impliquer encore plus de pouvoir technocratique,
c’est-à-dire plus de pouvoir dans les mains d’une oligarchie et moins de
démocratie pour les peuples. Mais il peut exister une autre option pour une autre
solution que celle de Tina et qui consiste en « soulèvement démocratique
radical ». Il pourrait y avoir donc une alternative possible
face à la politique néolibérale actuelle, un autre « régime de vérité »
autre que celui de Tina.
2. L’émergence de nouvelles collectivités
politiques
L’alternative
peut advenir des soulèvements démocratiques et radicaux contre les deux principaux
fléaux conjugués du système : la précarité et l’inégalité.
La précarité concerne tous les exclus du
monde : des millions de gens qui ne sont plus rentables pour le capital
mondialisé (comme dirait Badiou), ceux et celles qui sont sans travail, les rejetés
de la vie sociale, ceux et celles qui ont perdu leur pays, leurs biens, tous
ceux qui sont exclus, expropriés, dépossédés et marginalisés.
L’inégalité c’est ce qui est créée par l’accumulation
des richesses dans les mains d’un nombre de plus en plus réduits de personnes. Ceux
sont les fameux 1% qui possèdent 50% de la richesse mondiale.
Mais malgré les efforts autoritaires du
néo-libéralisme pour imposer sa lecture monolithique de la crise sans
alternative, sans hétérodoxies et sans pluralités, malgré les contraintes et
brutalités étatiques, il y a bien une résistance qui se fait jour, qui s’invente
dans la lutte avec des particularités qui les différencient des « luttes
de classe » classiques sous la direction des partis ( et syndicats)
classiques aussi.
Ces
nouvelles collectivités politiques, comme les Indignados d’Espagne, les Outraged
de Grèce ou Occupy Wall Street aux Etats-Unis, par l’exposition des
corps en public, se rassemblent et occupent la rue, l’espace public. Occuper
l’espace public, pour ces nouveaux types de mouvement, est crucial. Mais
parfois l’espace public, selon Butler, doit être créé, maintenu et défendu
contre les attaques militaires ou policières ou ouvert au sein d’une région
sécuritaire.
L’état stationnaire des corps pluriels en contestation,
Selon Athanasiou, peut créer en même temps des espaces concomitants : Un
espace politique, un espace de réflexion ou un espace de révolte, tous continus
dans le temps, comme ceux créés par la place Tahrir, Syntagma Square
ou Zuccotti Park. C’est ce qui différencie fondamentalement ces nouveaux
mouvements des manifestations classiques et catégorielles organisées par les syndicats
sous la forme d’irruption miraculeuse, action limité dans le temps, dans
le contenu revendicatif et dans les corps qui y participent, donc in fine sans invention
de nouvelles possibilités de rupture avec le système.
3. L’invention d’une démocratie radicale comme
tâche
Ces nouvelles résistances, en cherchant à
arracher la démocratie au capitalisme et au corporatisme, dit Athanasiou,
appellent à une démocratie réelle et auto-constituante à l’opposé de la
démocratie du marché ou la démocratie réellement existante de nos jours dans
les pays dits « démocratiques ».
Une des particularités des nouveaux mouvements
est qu’ils sont hétérogènes allant de la gauche radicale, anticapitaliste et
anarchiste aux eurosceptiques (en Europe), nationalistes... et nous pouvons y ajouter
les sans-partis (particulièrement sous les dictatures ou régimes autoritaires).
La question qui se pose alors est de savoir si cette hétérogénéité va se
stabiliser ou se recomposer? Va t‘on avoir la même composition dans les années
à venir ou bien y aura t’il une recomposition autrement et avec d’autres forces
et si oui dans quel sens et avec lesquelles? Il n’y a pas de réponse à cette
question pour l’instant selon nos deux auteures.
Néanmoins, la question principale reste toujours
celle de la performativité de la pluralité plutôt que l’ontologie de la celle-ci.
C’est au sein de ces coalitions politiques contingentes que les sujets
performatifs sont fabriqués et refabriqués.
La tâche en cours est donc la performativité démocratique
agonistique. Finalement, de quelle démocratie s’agit-il ici
dans ces mouvements de la rue, dans ces résistances stationnaires? Il s’agit d’une
démocratie conflictuelle mais réelle qui s’invente, qui effectue la
dissémination de sa propre fixité et certitude, qui embrasse sa
contingence situationnelle et son caractère provisoire, qui suspend les
clôtures définitionnelles de la subjectivité et de l ‘action politique en restant ouverte aux incalculables
potentialités et erreurs. Une démocratie qui est, selon Butler, garantie
justement par sa difficulté à se réaliser et, quels que soient
les buts auxquels on parvient, par son caractère inachevé.
4. Le défi des
démarcations dans l’espace pluriel des résistances
Il faut donc repenser les nouvelles contingences
et la modalité de cette démocratie radicale en particulier la question des
alliances et de la cohabitation des divers corps participatifs à l’espace
public par delà des catégorisations établies de l’identité et de la différence.
Il y a une nécessité d’une reconceptualisation politique croisée des
classes, genres, sexualités etc. Il faut bien se dire qu’aujourd’hui que ce
n’est pas que la gauche qui s ‘empare de la rue contre les conditions
précaires, en Europe particulièrement, mais aussi, occasionnellement, des
partis de droite, de l’extrême droite et même ajoutons des partis fascistes.
De même,
Il faut réfléchir sur les démarcations et prétentions d’appartenance
communautaire ou identitaire à l’intérieur de l’espace de la pluralité au sein
duquel ceux-ci se développent.
Butler pose comment
intervenir sur les processus dans lesquels on est subjectivé et subjugué par le
système néolibéral. Il faut rester critique vis à vis des modes de résistance
qui resignifient la sphère publique en faisant disparaître les
frontières entre le privé et l’entreprise privée ou le public et la sécurité publique.
L’aspect agonistique ou
conflictuel de la démocratie à inventer, dans ces nouveaux espaces de
résistance, pluriels et hétérogènes, pose de véritables difficultés et défis à
tous ceux qui s’engagent dans cette voie qu’Athanasiou appelle de ses vœux un réalisme utopique
et que nous préférons nommer utopie
possible.
5. Quelques problématiques
en guise de conclusion
A la lumière de ce qu’on vu dans ce chapitre et qui,
indéniablement, ne peut embrasser l’ensemble des idées politiques et
philosophiques des auteures du livre et que par conséquent reste bien limité et
partiel, je retiens trois problématiques
que je vais soulever brièvement sous la forme de questionnement.
- La première concerne, comme on peut
l’imaginer car elle revient tout le temps dans les discours politiques, c’est
la question de l’alternative concrète au néo-libéralisme ou au capitalisme
mondialisé actuel. Quelle est l’alternative économique et sociétale à ce
système, concrètement parlant ? Celle qui peut désagréger le Tina ?
Il semble qu’il n’y pas de réponse à cette question actuellement, si on refuse
évidemment les recettes classiques expérimentées et périmées dans le socialisme
réellement existant du XXème siècle ou celles qui ont fait fiasco du côté
de la social-démocratie. Il semble, et on peut convenir avec Athanasiou et Butler,
que cette alternative doit (et ne peut que) s’inventer au sein de ces nouvelles
résistances, ne peut venir d’une quelconque vérité absolue ou autorité suprême,
mais pourra émerger de l’évènement même si on entend par là les soulèvements
des nouvelles collectivités pour une démocratie radicale et émancipatrice se
démarquant de la démocratie représentative actuelle.
- La
deuxième problématique est en rapport avec ce qui semble, selon les
auteures, capable de fédérer aujourd’hui dans le monde, du moins dans les pays
occidentaux, les nouvelles résistances à savoir la précarité et
l’inégalité. Elles peuvent rassembler aujourd’hui des millions de gens exclus
du circuit capitaliste marchand et donc jouer un rôle d’unificateur de luttes
pour une cause qui met en question l’essence même du système fondé sur la
précarité et l’inégalité. Mais cette analyse me semble néanmoins rester en
partie prisonnière d’un cadre occidentalo-centrique bien qu’elle le récuse. Citons,
comme exemple, les résistances dans les pays autrefois appartenant au tiers-monde
et, qui en grande partie restent toujours sous la tutelle des dictatures de
parti-Etat, des militaires ou de la théocratie (comme la Chine, l’Egypte,
l’Iran). Dans ces grandes régions du monde, la question des libertés fondamentales
et des droits humains, de la sortie de la dictature, de la sortie de la
domination de la religion, de l’émancipation de la femme, de la non
discrimination, de l’autonomie et de l’auto-détermination des minorités
nationales etc. semblent pouvoir fédérer différentes collectivités : les
femmes, les jeunes, les travailleurs, les minorités ethniques etc. Ici,
d’autres facteurs que celui de la précarité entrent en jeu.
- La
troisième et dernière problématique est relative aux grands défis que
posent aujourd’hui les mouvements identitaires et communautaristes en Europe ou
ceux qui sont religieux et intégristes
principalement en Asie et en Afrique. Ce point n’est qu’effleuré dans ce
chapitre. Les nouvelles résistances sont bien hétérogènes et c’est ce qui constitue
leur force à notre époque, à la différence des luttes de classe comprenant principalement
la classe ouvrière avec des revendications essentiellement économiques et particulières
à celle-ci. Ce qui est changé et qui bouleverse toutes les théories classiques
c’est que les résistances actuelles au néo-libéralisme proviennent aussi des
forces archaïques et réactionnaires avec des alternatives de droite,
fascisantes, intégristes religieux etc. Dans les nouvelles résistances, On est de
plus en plus amené systématiquement à se démarquer de ces tendances qui
n’aspirent pas réellement à l’émancipation de l’ordre existant mais plutôt à restaurer
un ordre ancien du même type qu’est la soumission à l’identitarisme, au
communautarisme, à l’exclusion de l’autre... sous la bannière de la religion, de l’identité
nationale, de la patrie, de la famille... Bref reconduire la servitude sous une
autre forme.