VASSIGH Chidan

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5 décembre 2015

Sujets politiques performatifs

cours de KAKOGIANNI Maria

 

Les nouvelles résistances

Dépossession, chapitre 14 :

La gouvernance de « crise » et ses résistances

 

Athéna Athanasiou et Judith Butler poursuivent dans ce chapitre le dialogue autour de la thèse centrale de leur livre commun sur la  dépossession instituée par le néo-libéralisme ou, disons autrement, par le système capitaliste mondial qui exproprie, marginalise et exclut des pans entiers de la population.

Je m’attache, dans cet exposé succinct, à mettre en relief quatre idées-forces qui se dégagent de leur échange du point de vue de la politique performative d’émancipation. Dans ce cadre, en effet, il me semble que l’on peut les considérer comme des questions cruciales pour tout mouvement et toute pensée de résistance au néo-libéralisme à l’époque où nous vivons. Quelles sont ces idées-forces :

1.      La gouvernance de Tina sur la terre.

2.      L’émergence de nouvelles collectivités politiques.

3.      L’invention d’une démocratie radicale comme tâche.

4.      Le défi des démarcations dans l’espace pluriel des résistances.

En guise de conclusion, je poserai quelques problématiques.

 

1. La gouvernance de Tina sur la terre

Le néo-libéralisme contemporain, que l’on peut nommer aussi le capitalisme mondialisé, domine actuellement partout dans le monde et pas seulement dans son centre historique occidental. Il s’affirme et se justifie comme le seul mode de gouvernance possible, envisageable, rationnel et viable dans l’espace politique qu’il crée. L’espace qui, à vrai dire, est fortement limité et exclusif.

Le néo-libéralisme n’est pas seulement une gestion économique particulière de la crise actuelle, un état d’exception ou d’urgence perpétuel, mais un discours étatique qui, en même temps, construit et gère le domaine ou l’espace public qu’il tente de réguler et de le subordonner aux impératifs du capital. Son slogan est : Pas d’alternative. Dans sa langue natale anglo-américaine, il se dit : There is no alternative. Il n’y a pas de choix, pas d’options, pas d’alternative à ce qui est et se fait, à ce qu’il y a. Tina est devenu l’idéologie dominante, non seulement dans les affaires, dans la gestion de la crise, mais aussi dans la vie sociale et politique, dans la subjectivité et la conscience des gens, dans l’esprit de l’époque. C’est, comme précise Athanasiou au début du dialogue, le régime de vérité de notre monde, de notre existence, disons de la Cité bonne, de telle façon que toute pensée ou tout agir critiques ou contestataires sont condamnés et fustigés comme déraisonnables, impossibles, voués à l’échec, dévastateurs, irresponsables, antipatriotiques etc. dans ce cadre donc, aucune radicalité n’est possible, envisageable ou même imaginable. Voici ce que nous dicte la doxa néolibérale d’aujourd’hui.

Ce discours prédétermine donc la gestion des choses humaines et en particulier celle de la crise actuelle qui n’est pas seulement fiscale comme prétend le discours médiatique dominant mais structurel. Il propose, comme dit Butler, une solution  technocratique qui, en tant que telle, va impliquer encore plus de pouvoir technocratique,  c’est-à-dire plus de pouvoir dans les mains d’une oligarchie et moins de démocratie pour les peuples. Mais il peut exister une autre option pour une autre solution que celle de Tina et qui consiste en « soulèvement démocratique radical ». Il pourrait y avoir donc une alternative possible face à la politique néolibérale actuelle, un autre « régime de vérité » autre que celui de Tina.

 

2. L’émergence de nouvelles collectivités politiques

 L’alternative peut advenir des soulèvements démocratiques et radicaux contre les deux principaux fléaux conjugués du système : la précarité et l’inégalité.

La précarité concerne tous les exclus du monde : des millions de gens qui ne sont plus rentables pour le capital mondialisé (comme dirait Badiou), ceux et celles qui sont sans travail, les rejetés de la vie sociale, ceux et celles qui ont perdu leur pays, leurs biens, tous ceux qui sont exclus, expropriés, dépossédés et marginalisés.

L’inégalité c’est ce qui est créée par l’accumulation des richesses dans les mains d’un nombre de plus en plus réduits de personnes. Ceux sont les fameux 1% qui possèdent 50% de la richesse mondiale.

Mais malgré les efforts autoritaires du néo-libéralisme pour imposer sa lecture monolithique de la crise sans alternative, sans hétérodoxies et sans pluralités, malgré les contraintes et brutalités étatiques, il y a bien une résistance qui se fait jour, qui s’invente dans la lutte avec des particularités qui les différencient des « luttes de classe » classiques sous la direction des partis ( et syndicats) classiques aussi.

 Ces nouvelles collectivités politiques, comme les Indignados d’Espagne, les Outraged de Grèce ou Occupy Wall Street aux Etats-Unis, par l’exposition des corps en public, se rassemblent et occupent la rue, l’espace public. Occuper l’espace public, pour ces nouveaux types de mouvement, est crucial. Mais parfois l’espace public, selon Butler, doit être créé, maintenu et défendu contre les attaques militaires ou policières ou ouvert au sein d’une région sécuritaire.

L’état stationnaire des corps pluriels en contestation, Selon Athanasiou, peut créer en même temps des espaces concomitants : Un espace politique, un espace de réflexion ou un espace de révolte, tous continus dans le temps, comme ceux créés par la place Tahrir, Syntagma Square ou Zuccotti Park. C’est ce qui différencie fondamentalement ces nouveaux mouvements des manifestations classiques et catégorielles organisées par les syndicats sous la forme d’irruption miraculeuse, action limité dans le temps, dans le contenu revendicatif et dans les corps qui y participent, donc in fine sans invention de nouvelles possibilités de rupture avec le système.

 

3. L’invention d’une démocratie radicale comme tâche

Ces nouvelles résistances, en cherchant à arracher la démocratie au capitalisme et au corporatisme, dit Athanasiou, appellent à une démocratie réelle et auto-constituante à l’opposé de la démocratie du marché ou la démocratie réellement existante de nos jours dans les pays dits « démocratiques ».

Une des particularités des nouveaux mouvements est qu’ils sont hétérogènes allant de la gauche radicale, anticapitaliste et anarchiste aux eurosceptiques (en Europe), nationalistes... et nous pouvons y ajouter les sans-partis (particulièrement sous les dictatures ou régimes autoritaires). La question qui se pose alors est de savoir si cette hétérogénéité va se stabiliser ou se recomposer? Va t‘on avoir la même composition dans les années à venir ou bien y aura t’il une recomposition autrement et avec d’autres forces et si oui dans quel sens et avec lesquelles? Il n’y a pas de réponse à cette question pour l’instant selon nos deux auteures.

 Néanmoins, la question principale reste toujours celle de la performativité de la pluralité plutôt que l’ontologie de la celle-ci. C’est au sein de ces coalitions politiques contingentes que les sujets performatifs sont fabriqués et refabriqués.

La tâche en cours est donc la performativité démocratique  agonistique. Finalement, de quelle démocratie s’agit-il  ici dans ces mouvements de la rue, dans ces résistances stationnaires? Il s’agit d’une démocratie conflictuelle mais réelle qui s’invente, qui effectue la dissémination de sa propre fixité et certitude, qui embrasse sa contingence situationnelle et son caractère provisoire, qui suspend les clôtures définitionnelles de la subjectivité et de l ‘action politique  en restant ouverte aux incalculables potentialités et erreurs. Une démocratie qui est, selon Butler, garantie justement par sa difficulté à se réaliser et, quels que soient les buts auxquels on parvient, par son caractère inachevé.

 

4. Le défi des démarcations dans l’espace pluriel des résistances

Il faut donc repenser les nouvelles contingences et la modalité de cette démocratie radicale en particulier la question des alliances et de la cohabitation des divers corps participatifs à l’espace public par delà des catégorisations établies de l’identité et de la différence. Il y a une nécessité d’une reconceptualisation politique croisée des classes, genres, sexualités etc. Il faut bien se dire qu’aujourd’hui que ce n’est pas que la gauche qui s ‘empare de la rue contre les conditions précaires, en Europe particulièrement, mais aussi, occasionnellement, des partis de droite, de l’extrême droite et même ajoutons des partis fascistes.

 De même, Il faut réfléchir sur les démarcations et prétentions d’appartenance communautaire ou identitaire à l’intérieur de l’espace de la pluralité au sein duquel ceux-ci se développent.

Butler pose comment intervenir sur les processus dans lesquels on est subjectivé et subjugué par le système néolibéral. Il faut rester critique vis à vis des modes de résistance qui resignifient la sphère publique en faisant disparaître les frontières entre le privé et l’entreprise privée ou  le public et la sécurité publique.

L’aspect agonistique ou conflictuel de la démocratie à inventer, dans ces nouveaux espaces de résistance, pluriels et hétérogènes, pose de véritables difficultés et défis à tous ceux qui s’engagent dans cette voie qu’Athanasiou appelle de ses vœux un réalisme utopique  et que nous préférons nommer utopie possible.

 

5. Quelques problématiques en guise de conclusion

A la lumière de ce qu’on vu dans ce chapitre et qui, indéniablement, ne peut embrasser l’ensemble des idées politiques et philosophiques des auteures du livre et que par conséquent reste bien limité et partiel,  je retiens trois problématiques que je vais soulever brièvement sous la forme de questionnement.

- La première concerne, comme on peut l’imaginer car elle revient tout le temps dans les discours politiques, c’est la question de l’alternative concrète au néo-libéralisme ou au capitalisme mondialisé actuel. Quelle est l’alternative économique et sociétale à ce système, concrètement parlant ? Celle qui peut désagréger le Tina ? Il semble qu’il n’y pas de réponse à cette question actuellement, si on refuse évidemment les recettes classiques expérimentées et périmées dans le socialisme réellement existant du XXème siècle ou celles qui ont fait fiasco du côté de la social-démocratie. Il semble, et on peut convenir avec Athanasiou et Butler, que cette alternative doit (et ne peut que) s’inventer au sein de ces nouvelles résistances, ne peut venir d’une quelconque vérité absolue ou autorité suprême, mais pourra émerger de l’évènement même si on entend par là les soulèvements des nouvelles collectivités pour une démocratie radicale et émancipatrice se démarquant de la démocratie représentative actuelle.

- La deuxième problématique est en rapport avec ce qui semble, selon les auteures, capable de fédérer aujourd’hui dans le monde, du moins dans les pays occidentaux, les nouvelles résistances à savoir la précarité et l’inégalité. Elles peuvent rassembler aujourd’hui des millions de gens exclus du circuit capitaliste marchand et donc jouer un rôle d’unificateur de luttes pour une cause qui met en question l’essence même du système fondé sur la précarité et l’inégalité. Mais cette analyse me semble néanmoins rester en partie prisonnière d’un cadre occidentalo-centrique bien qu’elle le récuse. Citons, comme exemple, les résistances dans les pays autrefois appartenant au tiers-monde et, qui en grande partie restent toujours sous la tutelle des dictatures de parti-Etat, des militaires ou de la théocratie (comme la Chine, l’Egypte, l’Iran). Dans ces grandes régions du monde, la question des libertés fondamentales et des droits humains, de la sortie de la dictature, de la sortie de la domination de la religion, de l’émancipation de la femme, de la non discrimination, de l’autonomie et de l’auto-détermination des minorités nationales etc. semblent pouvoir fédérer différentes collectivités : les femmes, les jeunes, les travailleurs, les minorités ethniques etc. Ici, d’autres facteurs que celui de la précarité entrent en jeu.

 

- La troisième et dernière problématique est relative aux grands défis que posent aujourd’hui les mouvements identitaires et communautaristes en Europe ou ceux  qui sont religieux et intégristes principalement en Asie et en Afrique. Ce point n’est qu’effleuré dans ce chapitre. Les nouvelles résistances sont bien hétérogènes et c’est ce qui constitue leur force à notre époque, à la différence des luttes de classe comprenant principalement la classe ouvrière avec des revendications essentiellement économiques et particulières à celle-ci. Ce qui est changé et qui bouleverse toutes les théories classiques c’est que les résistances actuelles au néo-libéralisme proviennent aussi des forces archaïques et réactionnaires avec des alternatives de droite, fascisantes, intégristes religieux etc. Dans les nouvelles résistances, On est de plus en plus amené systématiquement à se démarquer de ces tendances qui n’aspirent pas réellement à l’émancipation de l’ordre existant mais plutôt à restaurer un ordre ancien du même type qu’est la soumission à l’identitarisme, au communautarisme, à l’exclusion de l’autre...  sous la bannière de la religion, de l’identité nationale, de la patrie, de la famille... Bref reconduire la servitude sous une autre forme.